Elodie LOISEL

EXTRAIT DU LIVRE

2018

Jeudi 8 février

5H45 – Montréal- Canada

HENRI HELLER

1

 

L’odeur des épines de pins, l’allée sombre et la brume qui étouffait les tombes du petit cimetière de campagne, ses pieds nus engourdis sur cette dalle froide. Un frisson brulant parcourut son corps, du sang s’écoulait le long de ses bras et quand il ouvrit les yeux, elle le fixait, stoïque.

Rose, assise sur la sépulture béante, lui sourit, Henri fit un pas de plus pour la prendre dans ses bras, la serrer fort contre lui mais déjà elle disparaissait de cet écueil de réalité.

L’expression de ses traits figés pour l’éternité dévisageait ses iris d’un bleu romanesque et la fissure du marbre se fit bien plus large. Il parvenait à lire derrière le corps sans vie de cette douce apparition, sa date de naissance suivie de celle de sa mort et juste au-dessus, dans les entrailles du désespoir le prénom de Sarah.

Où se trouvait-il exactement ? Dérivait-il vers les rivages de l’éternité ? Il regarda ses mains couvertes de sang. Le sourire de Rose se transforma en une grimace étrange puis s’effaça. Elle le toisa sévèrement.

La revenante fit un geste lent pour l’attirer vers elle. Quand la peau glaciale de Rose rencontra les doigts ensanglantés de ceux d’Henri, il fut surpris d’entendre au loin, le bruit reconnaissable de clous qui s’enfoncent avec violence dans une planche et une voix à peine perceptible chuchoter à son oreille « je sais ce que tu as fait ». Il se réveilla en sursaut.

 

2

 

Henri se redressa sur son lit et tenta, sans réellement y parvenir, de calmer sa respiration. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser qu’il n’était pas dans sa chambre.

Ce n’est qu’en apercevant les draps et les couvertures décorés de jolis motifs floraux tombés au sol sur la moquette qu’il se rappela son arrivée à l’hôtel la veille. Il fut tenté d’allumer la lampe de chevet, puis hésita car Lisa dormait à ses côtés. Il ne voulait pas la réveiller. Il caressa doucement son dos pour se rassurer de sa présence. L’obscurité vagabondait. La nuit, vicieuse, latente, et insidieuse s’attardait dans ce silence profond.

Quelle heure pouvait-il bien être ? Après ce terrible cauchemar, se rendormir s’avéra impossible. Cela faisait des années qu’il n’avait pas rêvé de sa grand-mère, Rose. Il voulut se remémorer sa bouche, ses yeux, son nez mais le souvenir de son visage s’estompait peu à peu dans son esprit.

Le radio réveil posé sur la table de nuit était éteint. Henri appuya sur le bouton pour le rallumer quand sa main toucha un objet qui tomba aussitôt au sol.

Surpris, le médium se glissa doucement hors du lit. Il effleura la moquette synthétique. Rapidement malgré la pénombre, ses doigts récupèrent une minuscule statuette de la vierge Marie, elle mesurait cinq centimètres à peine. Henri se releva d’un bond, il allait pousser un cri de stupeur mais mordit puissamment son pouce jusqu’au sang. Ce n’était pas possible.

Il rassembla son courage pour se diriger sans bruit vers la salle de bain et alluma la lumière de la pièce en fermant la porte derrière lui.

Il essuya la sueur qui perlait son front et s’assit sur le rebord de la baignoire, ses jambes flageolantes ne le portaient plus. Il serrait fermement sa main espérant… n’espérant pas… doutant encore une fois.

Il écarta ses doigts, l’icône en plastique avait marqué sa peau. C’était bien elle, cette petite vierge, sa petite vierge, qui le protégeait alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Le ruban bleu sur sa robe immaculée n’était plus très visible mais il l’avait toujours connu ainsi. Les traits finement sculptés de la Madone avaient été abimés suite à une chute dans le corridor du vieux presbytère de Veauce.

Aussitôt, malgré les 24 années qui le séparaient de cette journée d’été, le souvenir de l’odeur rance des pierres, mélangées aux puissants effluves d’encens le submergea. Et cette tempête qui avait éclaté en quelques minutes recouvrant l’édifice comme un silencieux cortège funèbre.

Il prit une profonde inspiration, puis, une deuxième, qu’est-ce que ce message signifiait ? Encore sous le choc de la découverte qu’il venait de faire. Cette petite vierge dans sa main ? C’était impossible, il l’avait lui même déposée dans le cercueil de Sarah le jour de son enterrement. Rose voulait-elle entrer en contact avec lui ? Enfin…