Elodie LOISEL

2010

Dimanche 4 juillet

12H11 – Veauce – France

 

8 ans avant la disparition d’Agathe Cyr

 

      La frappe puissante d’un marteau enfonçait des clous en acier pour maintenir la planche en chêne, le bruit métallique s’élevait en cadence. Les battements de mon cœur lui répondaient en écho.

— S’il te plait, je t’en prie, laisse-moi sortir, implorai-je.

Je rassemblais mes dernières forces pour pousser avec mes jambes, mes bras. Je donnais des coups violents, mais rien ne l’empêchait de continuer.

Mes hurlements de terreur enflammaient ma gorge en brulant mes chairs. Mes mains recouvertes d’argile puaient le sang. Solidement ficelée, je ne pouvais pas les détacher.

J’étais plongée dans le noir, au cœur des ténèbres. Une odeur de moisi suffocante persistait dans l’air. Je sanglotais quand la première pelle de terre tomba sur le cercueil où j’étais enterrée vivante.

Après l’affreux vacarme, il n’y avait plus que le silence et le désespoir qui se répandit autour de moi comme les étouffants nuages d’une tempête d’été.

Dans un ultime acte de survie, j’essayais de me retourner, ma tête cogna fortement contre le bois dur. Avec acharnement, j’écorchais de mes ongles sales la solide planche collée à cinq centimètres de moi. À nouveau, un cri resta coincé dans ma gorge au moment où l’ongle de mon index s’arracha, la douleur fut insoutenable. La souffrance physique ne fut rien en comparaison du chagrin qui me dévorait les entrailles. Mourir. Abandonner les miens. Ne plus jamais voir leurs visages. Ne plus les serrer dans mes bras. Les sanglots s’échappaient vifs, saccadés, amers.

Personne, non personne, ne viendra me sauver. Dans ce noir absolu et glacial, j’étais peut-être déjà partie.

Je donnerai tout, pour revoir une dernière fois maman, sentir l’odeur de son parfum, à la fois acidulé et sucré, avec cette douce fragrance vanillée qui s’éternisait dans l’air. Alors que le souvenir de ma vie, le plus beau d’entre eux me hantait encore, mon ultime souffle m’emporta loin d’ici.

Au loin, un carillon sonnait 13 coups comme la sentence du glas. La rivière était froide et les galets glissants. La lumière du soleil filtrait parmi les cèdres clairs, orangée, elle renvoyait mille et une paillettes sur l’eau marbrée. Papa et Tim pêchaient assis l’un près de l’autre, maman installait le repas où les tomates cerises se mélangeaient délicatement à la tarte au thon.

De la douceur naïve pour le copieux pique-nique, j’ignorai alors que je ne les reverrais plus jamais. L’un des plus beaux souvenirs de ma jeune vie me submergeait, à la fois fugace et immortel, simple et exceptionnel. Je n’irai plus jusqu’à la rivière au début du printemps.

Je repensais à cette vie-là, la mienne, je ne tomberai jamais amoureuse, je ne deviendrai jamais maman, je ne vieillirai pas. Et une autre odeur s’éleva, emplit d’ammoniaque et de souffre, je venais de me pisser dessus.

Mes jambes étaient meurtries, épuisées à pousser en vain. Une crampe paralysa ma cuisse droite et remonta jusqu’à mon bassin. Un tremblement parcourut mes mains prisonnières, traversa mon dos, pour se généraliser dans tout mon corps. Accablée par une sensation d’étouffement, comme si dix puissants doigts enserraient mon cou pour empêcher l’oxygène d’y entrer. Chaque respiration devenait un supplice.

Une rage insupportable naissait dans mes entrailles, je léchais les larmes d’horreur qui brûlaient mes joues. Personne ne me sauvera. Je ne trouverai pas la force pour sortir de ce piège, je n’y parviendrai pas… j’ai peur… je ne veux pas mourir… j’ai tellement peur…

 

 

2

 

C’était un bel après-midi d’été, le 4 juillet 2010, un dimanche. L’heure exacte où Sarah Heller ferma à jamais les yeux sur ses 14 ans reste inconnue.

Les policiers ne retrouvèrent son corps que trois jours plus tard, à la suite de l’intervention de son père Henri Heller, médium réputé.